Boris Vildé chef du Réseau du Musée de l'Homme
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Henri Noguères
Histoire de la Résistance en France Du côté du Musée de l’Homme - Editions Laffont - 1967 (extraits)
Cependant, d'autres groupes, d'autres hommes envisagent d'autres formes de résistance. D'anciens officiers d'active: le colonel de La Rochère, le colonel Hauet, un jeune ethnologue du musée de l'Homme, Boris Vildé, constituent de premiers noyaux. Ils se préoccupent tout d'abord d'aider les prisonniers évadés et de leur faciliter le passage en zone libre. Vildé s'efforce, tout de suite, de trouver le contact avec la France Libre et avec les services de renseignements britanniques. Il agit avec l'accord de son «patron», le professeur Paul Rivet, et sera bientôt aidé par Anatole Lewitzky qui est, au musée de l'Homme, le chef du département de Technologie comparée, auxquels se joindront l'ethnologue Germaine Tillion, la bibliothécaire Yvonne Oddon, Agnès Humbert, attachée au musée des Arts et Traditions populaires, Jacqueline Bordelet, Jean-Paul Carrier... Le groupe - on ne dit pas encore le «réseau» - du musée de l'Homme est né. De son côté, un avocat parisien. Me Jubineau, s'efforce de constituer un groupe armé, à tendance paramilitaire. Paris n'a d'ailleurs pas le monopole, en ce mois de juillet 1940, des premières ébauches d'organisation : à Béthune, un groupe de professeurs - M et Mme Simonet, Mme Leleu - cherche le contact et le trouvera au musée de l'Homme. (…)

«Vichy fait la guerre»

Jean Cassou, de son côté, a rédigé pour le groupe du musée de l'Homme, à la demande de Vildé, un tract dont Agnès Humbert, dans son journal, note la sortie à la date du 25 septembre.   Notre premier tract ronéotypé, «Vichy fait la guerre», a été tiré à des milliers d'exemplaires. Des Français ont tiré sur des Français à Dakar. C'est le début de la guerre civile qui aidera à notre libération (...). Nous avons déjà fait un grand pas depuis notre premier tract dactylographié publié le 19 septembre". Boris Vildé, qui est, au musée de l'Homme, «le meneur de jeu de l'activité antiallemande», souhaite d'ailleurs faire un autre pas, plus grand encore, en publiant un journal, dont Cassou sera le rédacteur en chef. En attendant, Agnès Humbert a recours, pour diffuser le tract «Vichy fait la guerre», à tout son entourage. La brève description qu'elle nous donne de cette «boule de neige» pourrait s'appliquer à la plupart de ceux qui, en septembre 1940, apprennent les rudiments de la propagande clandestine.

-"Je ne risque rien que de me faire prendre seule puisque je ne me découvre que personnellement; je prétends avoir reçu ces tracts le matin même, anonymement, par la poste ; tracts qui seront recopiés et diffusés dans des milieux très différents. Mon auxiliaire le plus pittoresque est une concierge, Mme Homs. Accrochée toute la journée à la radio de Londres, elle brûle de « servir ». Du fond de sa loge, elle distribue les tracts avec beaucoup d'adresse. Une de ses locataires les reproduit à de très nombreux exemplaires. Un pharmacien et sa femme sont aussi d'excellents diffuseurs. Par leurs soins, les tracts sont recopiés, envoyés à Fontainebleau où ils sont ronéotypés. Nous en « oublions» dans les métros, dans les bureaux de poste, dans les boîtes à lettres. Mme Jean Cassou en glisse sous les coupons de tissu des grands magasins, partout, une main les trouve, des yeux avides les lisent. (...) Lorsqu'il fera nuit, j'irai coller aux murs de mon quartier toute une envolée de papillons que j'ai fabriqués avec des étiquettes, à l'aide de la machine à gros caractères du musée, j'ai écrit : «Vive le général de Gaulle» J'ai distribué des papillons semblables à tous nos amis qui s'amusent comme des gosses à l'idée de les apposer, qui dans une pissotière, qui dans une cabine téléphonique, qui dans les couloirs du métro... Maurice Braudrey, le seul gardien du musée qui soit des nôtres, fait mieux: il suit les camions allemands avec sa bicyclette et y accroche soigneusement de petites pancartes sur lesquelles j'ai tapé - toujours avec cette machine à gros caractères «Nous sommes pour le général de Gaulle». Maurice Braudey distribue aussi des tracts en banlieue dans les milieux ouvriers où il milite depuis des années".

Les « anciens » du Musée de L’Homme

(...) Le plus ancien et apparemment le plus solide des réseaux, en cette fin 1940, est celui du Musée de l'Homme. Vildé et Lewitzky s'efforcent de mener de front les tâches les plus diverses. Ils ne fixent à leur entreprise ni limites territoriales ni spécialisation dans l'action. Vildé a chargé Zerafa d'étendre le réseau à Marseille; lui-même, à l'occasion d'un voyage en zone Sud, s'est empressé d'y recruter des agents et a choisi Georges Friedmann pour le représenter. En même temps, il cherche à faire déboucher son réseau sur toutes les formes possibles de l'action. Qu'il s'agisse d'aviateurs anglais à faire passer par l'Espagne, de renseignements sur la Luftwaffe, de la constitution de «dizaines» paramilitaires, ou de simple propagande, Vildé ne dit jamais que cela ne le concerne pas. Il estime, au contraire, avoir vocation à prendre en charge tout ce qui touche à la Résistance.

Agnès Humbert note, à la fin décembre:

- Ce soir, à la Closerie des Lilas, j'ai donné rendez-vous à Roger Pons que j'ai présenté à Vildé. Ils ont tout de suite sympathisé. Roger a promis entre autres un plan de garage d'avions, garage souterrain qui vient d'être construit, paraît-il, à Dreux. Vildé s'est montré vivement intéressé. J'ai proposé de les mettre en rapport avec des Espagnols, plus ou moins cachés. Miliciens de la guerre d'Espagne, ils connaissent la manœuvre qui consiste à faire sauter un char d'assaut à l'aide d'une grenade bien plantée. Cette manœuvre peut être enseignée à nos militaires, car Vildé m'a clairement laissé entendre devant Claude qu'à sa connaissance nous avons déjà à Paris plus de douze mille hommes armés. Il nous a même chargés de susciter la formation de «dizaines» militaires. Antoine Schlicklin, que nous appelons «M. de Saint-Maur», est dès à présent sur la piste de «professeurs de culture physique» qui vont entraîner nos jeunes gens de la banlieue. Encore un agent très dévoué que je viens de présenter à Vildé et à Lewitzky. Je me fais l'effet d'un chien de chasse rapportant du gibier à son maître. Jean Cassou, d'ailleurs, partage l'admiration d'Agnès Humbert pour « l'organisation mise en place par Vildé:

-Vildé et Levitsky, nous dit-il, "disposaient d'une organisation moins vague que la nôtre. Ils faisaient du renseignement, qu'ils transmettaient à la zone Sud, par l'intermédiaire d'un tout jeune garçon, le Gosse. Ils faisaient également passer en zone Sud, les débris de l’armée de Dunkerque, dont les éléments gagnaient l'Espagne par les couvents. C'est ainsi que nous avons recueilli des Polonais que nous avons fait filer de cette façon, après les avoir logés chez Agnès Humbert. L'organisation était très au point, car les ordres se transmettaient bien et dans la plus grande discrétion. La preuve, le lendemain de l'arrivée des Polonais, un livreur de la «Belle Jardinière», leur apportait des costumes à leur taille. Agnès, amena ses «invités» à un rendez-vous et les mit entre des mains compétentes, qui leur permirent d'arriver à bon port. Nous avons eu aussi des Belges qui avaient jeté un soldat allemand dans le canal..." Le 15 décembre, le premier numéro de RESISTANCE, organe du «Comité national de salut public», est sorti. Résister! y lit-on. C'est le cri qui sort de votre cœur à tous, dans la détresse où vous a laissés le désastre de la Patrie. C'est le cri de vous tous qui ne vous résignez pas, de vous tous qui voulez faire votre devoir. Mais vous vous sentez isolés et désarmés, et, dans le chaos des idées, des opinions et des systèmes, vous cherchez où est votre devoir. Résister, c'est déjà garder son cœur et son cerveau. Mais c'est surtout agir, faire quelque chose qui se traduise en faits positifs, en actes raisonnes et utiles. Beaucoup ont essayé et souvent se sont découragés en se voyant impuissants. D'autres se sont groupés. Mais souvent leurs groupes se sont trouvés à leur tour isolés et impuissants. Patiemment, difficilement, nous les avons cherchés et réunis. On sait que la grande idée de Vildé, son rêve le plus cher, est, en effet, de réussir à fédérer les quelques groupes isolés qui se sont déjà constitués, sans lien entre eux, sans contacts. Et il y est déjà partiellement arrivé.

Weil-Curiel cherche la sortie

(…) Vainement, Weil-Curiel a essayé de regagner l'Angleterre par les filières les plus diverses: l'ambassade des Etats-Unis, le tailleur de Michel Edinger, un professeur de culture physique prêt à traverser la Manche en canoë, un pianiste hungaro-américain... Finalement, c'est Vildé qui s'offre à organiser son départ, de Bretagne, le 20 décembre, «par une filière sûre». "Je classais et détruisais des papiers chez moi, écrit Weil-Curiel, quand Vildé se présenta en compagnie d'un garçon que je ne connaissais pas et qu'il me présenta sous le nom d'Albert Gaveau. C'était un homme de trente à trente-cinq ans, trapu, la tête enfoncée dans les épaules, le buste un peu tordu, pâle, les yeux plissés, le regard fuyant, vêtu modestement. «J'ai choisi Gaveau, me dit Vildé, pour vous accompagner jusqu'à votre départ et prendre contact avec nos amis de Bretagne. Il veillera à ce que tout se passe bien et me rendra compte. Si vous avez besoin de quelque chose pendant qu'il sera avec vous, utilisez-le: il est à votre disposition»

L’affaire du musée de l’Homme

(...) Parlant en historienne de la «première Résistance en zone occupée», Germaine Tillion rappelle qu'en 1941, après chaque arrestation, «on ne parlait pas de tel «réseau» ou de tel «mouvement » mais de telle «affaire», et chacune d'elles avait des contours aussi précis que ceux du mouvement ou du réseau l'étaient peu...» II y a deux «affaires» en cours en février 1941, mais celle dont on parle le plus c'est l'«affaire du musée de l'Homme». Germaine Tillion, intervenant cette fois en témoin, évoque sa dernière rencontre avec Lewilsky, resté seul «patron» du réseau à Paris depuis le départ de Vildé pour Toulouse: "Je peux, dit-elle, dater exactement la dernière conversation que j'ai eue avec Lewitsky, et elle a porté presque exclusivement sur Pétain; elle a eu lieu au musée de l'Homme, à l'heure du déjeuner, en février 1941. Propos à bâtons rompus, pleins de bonne humeur et d'entente, où l'on appréciait d'autant plus le plaisir de se comprendre à demi-mot qu'on était quotidiennement exaspéré par les avanies de la défaite et les pleurnicheries de Radio-Vichy. Vildé et Lewitsky étaient alors enchantés de ressortir les Mémoires de Poincaré et ses critiques sévères sur le vainqueur de Verdun. En particulier, ils soulignaient le fait très grave de la demande d'armistice dont Pétain était partisan en 1917. En quittant Lewitsky j'ai conclu notre conversation en disant: «En somme, le Vieux avait l'habitude de jouer la Noire. Cette fois, la Noire est sortie: il a gagné". Lewitsky a ri, puis nous nous sommes serré la main et je ne l'ai jamais revu".

Dès le début de février, une nouvelle arrestation avait eu lieu: celle de Jubineau et, le 11, c'est l'opération massive déclenchée par les S.S.: plusieurs cars déversent assez d'hommes en armes pour encercler le palais de Chaillot tandis que les équipes spécialisées, pénétrant dans le bâtiment, procèdent à une perquisition en règle et à un certain nombre d'arrestations. Seules celles de Lewitsky, de sa fiancée Yvonne Oddon et de Creston sont maintenues. Les S.S. étaient bien renseignés. Non seulement par Gaveau, leur indicateur, mais encore, pense J.-P. Carrier, par un employé subalterne du musée de l'Homme qui pourrait avoir été utilisé pour surveiller Lewitsky et Yvonne Oddon. Paul Rivet, que les S.S. avaient également mission d'arrêter, a échappé de justesse à ce coup de filet: il avait quitté Paris la veille pour rejoindre Vildé à Toulouse.

«Continuer le journal»

Quelques jours à peine après l'opération du musée de l'Homme, Vildé, qui a été aussitôt prévenu par son agent de liaison, René Sénéchal, dit « le Gosse », envoie ses instructions à Agnès Humbert : -«Je suis entrée à la maison hier pour y trouver «le Gosse», note celle-ci. Il arrivait de chez Vige et Jean. J'ignorais qu'ils fussent en relations. Il m'apporte une lettre de Vildé déjà au courant de l'arrestation de ses camarades. Vildé me demande de faire continuer le journal, afin de décharger nos amis de l'accusation qui pèse sur eux. Il n'a pas eu besoin de nous le demander, le numéro du 15 février est prêt; nous l'avions tapé, Colette, Christiane et moi. Les frères Emile-Paul pensent pouvoir mettre bientôt une Ronéo à notre disposition. Où trouver nos hommes de liaison ? Vildé parti, Lewitsky arrêté, voilà la chaîne brisée... «Le Gosse», qui me dit se nommer Sénéchal (de sa fausse identité Raymond Sauvet), ne semble rien savoir de nos mystérieux «messieurs». Il me parle d'un camarade dont je n'ai encore jamais entendu parler: Georges Ithier, caché pour l'instant dans un hôtel très discret, derrière la gare Saint-Lazare. Jean Cassou a chez lui le plan d'aviation que je l'ai prié d'aller chercher chez Roger Pons il y a trois jours; un plan et des renseignements au sujet du garage des sous-marins à Saint-Nazaire. Je donne ma signature au «Gosse» comme mot de passe et l'envoie chercher les documents chez Cassou. Demain soir, «le Gosse» aura tout déposé à Toulouse, avec quelques numéros de Résistance et notre courrier». Trois jours plus tard, à la date du 20 février, Agnès Humbert reprend son journal:

-Jean Cassou n'a pas voulu que j'aille seule rendre visite à Ithier qui habite un hôtel-maison de passe pour soldats allemands. Les gens de notre groupe s'y cachent et y cachent des soldats anglais en toute sécurité. La gérante et sa fille sont des gaullistes dévouées. L'anglais est la langue usuelle de la maison. Ithier a accompagné le Dr Rivet en zone libre. Il «passe» constamment des soldats anglais et des gaullistes ; sous peu il aura, dit-il, une mission régulière jusqu'en Espagne. Natif de la république de Panama, Ithier parle aussi bien l'anglais que l'espagnol et le français. Il part ces jours-ci et emporte un gros courrier pour la zone libre. Je supplie Friedmann de tout entreprendre pour que Vildé soit mis au courant de notre activité qui continue sans se ralentir, et pour le retenir en zone libre.

Gaveau réapparaît

L'activité du réseau continue en effet « sans se ralentir », grâce à l'Alsacien Walter qui remplace aussitôt Lewitsky, et à Jacqueline Bordelet qui s'efforce de reconstituer les liaisons. Grâce aussi, bien sûr, au dévouement d'Agnès Humbert, qui va réussir à faire paraître sans retard les prochains numéros de Résistance, tentant ainsi, selon le vœu de Vildé, de prouver aux Allemands qu'ils ont été mal renseignés. Cependant, le mois de février ne s'achèvera pas sans que Gaveau parvienne à porter un nouveau coup au réseau. Et c'est Jean-Paul Carrier qui, lui en ayant bien involontairement fourni la possibilité, en sera la victime. Carrier et Jaudel, au moment même où se produit l'arrestation de Lewitsky, se préoccupent de reprendre une liaison avec Weil-Curiel afin de pouvoir poursuivre le travail. C'est alors que Carrier revoit Gaveau et suggère l'envoi de celui-ci en zone Sud pour porter un message à Weil-Curiel. Mais à Sète, où il parvient à le rencontrer, Gaveau ne se contente pas de remettre à Weil-Curiel le message de Jaudel et de Carrier : il lui propose en outre de le faire passer en Angleterre, prétendant cette fois avoir trouvé, en Bretagne, une filière sûre. N'ayant pas perdu espoir d'obtenir à Vichy, par relations, un faux passeport et un visa de sortie, Weil-Curiel n'accepte pas tout de suite la proposition de Gaveau. Il se réserve toutefois d'y recourir lors de la prochaine liaison, si rien n'a été réglé d'ici là. Mis au courant par Gaveau - à sa façon - de cette éventualité d'une nouvelle tentative de départ de Weil-Curiel pour la Bretagne, Jaudel et Carrier ne cachent pas leur inquiétude quant au sérieux de cette nouvelle filière. Carrier, d'accord avec Jaudel, décide donc d'aller voir sur place, à Nantes, ce qu'il en est. Il quitte Paris dans la soirée du 28 février, avec Gaveau, exactement comme l'a fait Nordmann six semaines plus tôt. Et, exactement comme Nordmann, Carrier est arrêté par les S.S. lorsque le train arrive en gare de Versailles-Chantiers...

Gaveau continue

(...) Cependant, le mois de mars ne s'achèvera pas sans qu'une nouvelle arrestation intervienne dans "l'affaire": celle de Boris Vildé qui a brusquement quitté son asile de Toulouse."J'ai vu Vildé pour la dernière fois le 9 mars, à Lyon, témoigne Claude Aveline. J'étais descendu de Paris avec mes mauvaises nouvelles et l'avais alerté aussitôt. Son premier, son dernier mot furent: «Je remonte, Lewitsky a besoin de moi». En vain je m'efforçai de lui faire entendre qu'il allait risquer sa vie et que personne ne serait sauvé pour cela. Il avait foi en son étoile. Il affirmait que du choix d'un avocat dépendait le sort de son compagnon. Il croyait à la justice, même allemande. Paul Rivet ne le persuada pas davantage".

"A Paris, chez Colette et Jean Duval, il présenta Walter comme son successeur éventuel. Peut-être sentait-il tout à coup son étoile faiblir. Il n'avait pas de faux papiers sur lui. S... lui en promit pour le lendemain. Ils prirent rendez-vous dans un café de la place Pigalle à 3 heures. S... l'y attendit une heure, après laquelle elle vit arriver Walter. «Maurice - nous avions francisé par précaution le prénom de Vildé -, Maurice n'est pas avec vous ? demanda-t-il. — Je l'atttends, dit S... - Nous étions ensemble dans le café d'en face, dit Walter. Il m'a quitté pour venir vous voir. Je devais le retrouver ici» Vildé avait disparu en traversant la place". La chose était si extraordinaire et si conforme à la mystérieuse nature de notre ami, que nous imaginâmes une disparition volontaire, un départ subit pour Londres, par exemple. Comment penser, d'ailleurs, qu'il eût pu être arrêté, sans que ni Walter ni S... fussent pris eux-mêmes? Il l'était pourtant. Carrier, du groupe Nordmann, emprisonné rue des Saussaies depuis près d'un mois, le voyait arriver ce soir-là. Vildé lui apprenait que quatre hommes l'avaient happé pendant la traversée de la place et em barqué dans une voiture. Il venait de quitter Walter et Gaveau; voilà pourquoi les policiers ne s'étaient pas préoccupés de l'endroit d'où il venait. Il n'avait dû parler qu'à Walter de son rendez-vous avec S... ; voilà pourquoi elle était demeurée libre.

«Une pièce de plus»

Rue des Saussaies, les hommes de Dœring, exactement renseignés par Gaveau sur la personnalité de Vildé, et sur son rôle à la tête de l'organisation, ne cherchent pas à dissimuler leur joie d'avoir réussi - sans se donner beaucoup de mal - une telle prise. "Je faisais, dit Weil-Curiel, mon exercice de pas de gymnastique un matin dans la courette quand je m'entendis appeler par plusieurs de mes gardiens qui, tout joyeux, étaient massés à la fenêtre de Dœring. Je ne fis pas attention à eux, mais ils insistaient, semblant très excités. Je m'arrêtai et regardai. Ils me montraient quelqu'un derrière la vitre. Le reflet du carreau m'empêchait de voir qui c'était. Je leur fis signe que je ne comprenais pas de quoi il s'agissait. Ils levèrent la fenêtre et je vis, avec une barbe de quelques jours, grave et digne au milieu de ces jeunes barbares qui narguaient leur victime avant la torture, Boris Vildé. Boris Vildé, une pièce de plus, et quelle pièce, au tableau de chasse de Gaveau". Ainsi décapité, démantelé, le réseau du musée de l'Homme ne s'avoue cependant pas vaincu. Résistance continue avec Pierre Brossolette comme rédacteur en chef, avec Jean Duval et Agnès Humbert... Mais pour combien de temps encore ?